mercredi 25 juin 2008

Les mains sales

Il y a quelques soirs déjà, j'ai traîné mes guêtres au théâtre. Ca faisait un petit bout de temps que je n'étais pas allé voir des gens gesticuler pour parler de leur vie, sachant que c'est surtout la vie de quelqu'un d'autre, mais que ce quelqu'un d'autre n'existe peut-être pas (mais ce n'est pas sûr du tout.)

L'entracte est arrivée, et je suis parti. Non pas que cela ne me plaisait pas, bien  au contraire, j'ai passé un très bon moment : la façon dont les comédiens montraient qu'il jouaient un rôle était très réussi ; non, c'était vraiment bien : Karin Viard rappelant sans cesse que, non, elle ne s'appelle pas Jenny, mais Karin, bref, c'était super ; des hommes s'embrassaient à pleine bouche, il y avait donc tous les ingrédients pour en faire une pièce à succès, au Théâtre National de Chaillot, par exemple.

Mais je suis parti. Tel un démiurge j'ai infléchi instantanément le schéma narratif du scénario, transformé d'un coup de baguette magique la pièce fermée en œuvre ouverte, j'ai décidé solennellement quand aurait lieu la fin de l'histoire, quand serait la fin de mon histoire, de notre histoire commune, j'en avais assez : rester un peu plus, c'était prendre le risque de recevoir beaucoup trop.  Je suis sorti dans la fraîcheur du soir, et je vis que cela était bon.

Cela dit, je me permets de faire une petite parenthèse : je ne considère pas que partir au milieu d'un spectacle qui dure au moins 3h20 -soit plus de deux cents minutes- soit un acte particulièrement subversif ; on pourrait même se poser la question suivante : quelle légitimité peut-il y avoir à prendre en otage 900 personnes pendant presque quatre heures dans un lieu sans fenêtre et avec aussi peu de lumière ? Pour ma part, je n'ai pas de réponse.

Un peu plus tard, je me graissais les orteils à l'aide d'un sandwich libanais, assis sur un perron de pierres anciennes, à deux pas d'un réverbère un peu pâlichon puisque pas encore très utile dans cette paresseuse soirée d'été, puis j'ai longé de nouveau le vieux théâtre en pensant au 899 personnes qui était restées bien au chaud, sentant cette énergie mariner à quelques mètres de moi... L'expérience métaphysico-dramatique la plus troublante que j'ai eue, c'était en caressant de mes mains sales le mur extérieur d'un ouvrage un peu grotesque.

mercredi 4 juin 2008

La bergère et le ramoneur

Quand je rentre du travail, le jour est bas, choisir la moitié de la rue qui reste caressée par le soleil, je croise les lycéens qui oublient l'histoire et le français pour quelques heures, marche plus rapide que les automobiles qui toussotent à mes côtés.

Je ne rentre jamais par le même chemin, c'est à dire que j'ai fait systématiquement connaissance de toutes les façons permettant de  retourner chez moi : la plus courte, encore que cela m'a valu de vérifier sur internet, la plus silencieuse, et aussi celle qui salit le moins le bas de pantalon lorsqu'il pleut... Mon quartier a désormais une existence physique dans mon esprit, c'est à dire que les contours dijonnais ont désormais leur correspondance dans les méandres de mes circonvolutions cérébrales.

Une fois dans mon vieil appartement, j'observe minutieusement ce rituel quotidien : j'ouvre la porte-fenêtre pour installer une des chaises anciennes sur l'étroit balcon, je retourne à la cuisine prendre de la bière dans le Frigidaire, et je retourne m'installer avec la bouteille, ma guitare et quelques cigarettes.

Et là, je contemple et j'agis sur le monde, égratignant une bossa nova au creux de l'oreille des passants, aspirant une bouffée tiède de mon petit cylindre empoisonné, plongeant dans un décolleté furtif, cassant ma nuque dans une gorgée de bière, répondant parfois au téléphone lorsque la sonnerie débile que je n'arrive pas à changer me surprend lors d'un point d'orgue déchirant...

Je suis le Vishnou à huit bras de la rue du Chaignot, l'Octopussy du sud-dijonnais, et quand j'en ai assez de me tortiller les jambes croisées sur la paille tressée de ma chaise, quand la rue fraîche n'est plus aussi agréable, je rassemble les ustensiles du soir, et je traverse la pénombre de mon vieil appartement : retour en ville, vivre une nuit supplémentaire.

mardi 27 mai 2008

The Purple Rose of Cairo

J'aime le cinéma du matin, les portes à battants de verre vont s'ouvrir et douze ou treize âmes patientent calmement dans l'ombre de la vieille bâtisse municipale, leur carte de fidélité à la main. Les visages ne sont pas forcément familiers, mais une certaine connivence se dessine déjà. Ticket acheté, on fait mine d'écouter la direction de la salle, on sourit, on monte silencieusement les escaliers ; une fois enfoncé dans mon fauteuil je pourrais regarder ma vie ou celle des autres pendant des heures, et souvent, je pleure ; plus tard, j'essuierai mes yeux avec le vent de onze heures, et j'irai jusqu'à Arts et Métier à vélo, manger une brioche à l'un des chinois de la rue Volta.

J'aime la séance de l'après-midi, quand le noir vient griffer le jour bruyant, bonjour, quel film n'est pas encore commencé ? Peut-être des rires, peut-être des sanglots, mon film passe de l'autre côté du canal, j'emprunte donc le bateau. La bateau pour aller au cinéma, c'est déjà du cinéma, capitaine Willard s'enfonçant au cœur des ténèbres, Jack Dawson faisant le malin un pied sur la proue et l'autre au dessus des flots. Dans le complexe, des employées fraîchement maquillées disposent des sucreries sur la banque et des crèmes glacées sur le comptoir, un joli couple de personnes âgées va bientôt se noyer dans les sous-titres, deux jeunes se sont échappés de la surveillance parentale, coût de l'opération : neuf euros et soixante centimes chacun pour une heure et trente minutes de baisers. Un peu plus tard, un papa désemparé tente de réconforter ses deux petites filles : le dinosaure s'est effectivement jeté du haut de la falaise, mais il s'en est sorti, c'est sûr.

J'aime le film du soir, quand un groupe de grands gosses qui piaffent en plongeant leurs mains dans des pleins seaux de pop-corn s'esclaffent à propos du dernier film vu, miment ce que l'on imagine du suivant, on rougit en suggérant les courbes d'une actrice australienne, la voix s'enfle à l'évocation d'un héros d'une autre planète, plus tard on essaiera de faire silence mais pour l'instant la parole se fait flot. Epaule contre épaule, on arrive à viser une place, écartant du pied les débris alimentaires des spectateurs de la séance précédente, dans l'amphithéâtre maté par la moquette ignifugée. Plus tard, je rentrerai par le dernier métro, et j'essaierai de chasser de mon esprit le visage de la jolie comédienne.

samedi 3 mai 2008

La modification

Il est encore tôt, et vous êtes déjà debout. Vous aimez le matin blanc, la fraîcheur de l'air sur vos pieds, le tintement de la vaisselle, faire du thé.

La matinée s'annonce claire, vous en profitez pour vous mettre au travail, car vous avez une poignée de jours pour écrire quelques dizaines de pages sur une somme d'ouvrages comme L'Ethique protestante ou l'esprit du capitalisme. Ce n'est pas évident, mais comme vous vous dites que ça ira, alors vous n'avez pas d'inquiétude.

Le four à micro-ondes a retenti six fois, l'eau de votre tasse jaune a frémi ; vous posez ouvert et à même le sol Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot pour atteindre la cuisine, et vous plongez la boule métallique emplie de ce thé parfumé aux agrumes que vous a fait connaître votre cousine il y a dix ans et demi, tout en vous disant que c'est surprenant de se rappeler de choses aussi précises. La boite du thé fin de ce matin, c'est celle que vous a offert votre camille, une boite que vous garderez quand elle sera vide.

Dans quelques minutes, le soleil aura doublé le faîte du toit opposé, et commencera à chauffer votre visage à travers le double vitrage de la porte-fenêtre blanche : vos pensées se perdront entre votre dîner d'hier soir et un moment d'activité physique demain matin, tout en continuant à vous demander quelles sont Les métamorphoses de la question sociale. Vous plisserez un peu les yeux pour lire votre écran d'ordinateur, vous entendrez les pleurs d'un enfant interrompre le piaillement d'un oiseau, et une brise passagère enverra le rideau transparent caresser votre cuisse droite.

Quand vous en aurez assez de Régimes d'historicité : présentisme et expériences du temps, vous irez refaire une tasse de thé sans changer le contenu de la boule -même s'il risque d'être un peu moins parfumé-, et vous oublierez pour quelques instants vos résolutions du lever pour sortir quelques sons d'un des instruments qui traînent dans votre petit appartement. Vibration calme et rêveuse dans l'immeuble endormi.

En fin de matinée, Le révisionnisme en histoire : problèmes et mythes ne vous intéressera plus beaucoup, le soleil aura franchi votre propre toit, et vous irez vous perdre au centre commercial de la grand'ville d'à côté, passer du silence absolu à la masse grouillante de vos contemporains énervés.

jeudi 17 avril 2008

Le malade imaginaire

"Une place gratuite, ça intéresse quelqu'un ?"

Je suis trop lent à réagir, un gars la prend pour sa copine qui va arriver. Il faut dire que ça fait plus d'une heure qu'on attend dans la froidure du crépuscule pour rentrer dans la salle scène musiques actuelles de la ville.

Je me suis dépêché pour rien, quitté le travail pas trop tard, rentré chez moi engloutir deux endives sans sauce, écouté les infos d'une oreille distraite, sauté sur un Vélib', marché vingt minutes, tout ça pour quoi ? Pour poireauter dans le froid sous l'oeil soupçonneux d'un gorille de type cubique, estampillé "La Vapeur". L'invitation me revient : la copine du gars avait acheté la sienne sur internet...

A l'intérieur, il fait chaud, forcément, on est serré, forcément, et la musique nous remue, basse ronflante, batterie lourde, la poitrine, la gorge, mon bassin vibrent désagréablement et je suis parfois au bord de la nausée. Au risque d'avoir l'air complètement stupide, je me bouche parfois les oreilles, mais je préfère rendre deux endives que l'audition.

Cela dit, pour mon premier concert "pop" à Dijon, je frappe un grand coup : arrivé deux heures trop tôt, je me retrouve au premier rang avec les fans d'une chanteuse dont je ne connaissais même pas le nom deux heures auparavant ; tout le monde chante à tue-tête, je fais "mmm...","hou hou", ou bien encore "han han han..." quand elle me regarde, histoire de pas avoir l'air trop bête.

A côté de moi, une jolie jeune femme au regard troublant, à qui la place gratuite est finalement revenue. On gigote plus que l'on danse, la chanteuse est d'une chaleur qui nous fait oublier l'attente, l'ankylose des genoux, elle danse mieux que nous, mais, bon, elle a de la place, elle, à condition de ne pas se prendre les pieds dans les câbles qui jonchent la scène. Les jeux de lumières, de toutes les formes et de toutes les couleurs, swinguent sur les murs, le plafond, la foule, fumigènes inodores, humour, dialogue, spectacle total, Beethoven et Brahms devraient en prendre de la graine.

Après un bis généreux de vingt minutes, la salle s'ébroue lentement. Je marche d'un bon pas pour conserver la chaleur de mon corps le plus longtemps possible, suivant les centaines de feux arrières qui passent les carrefours au compte-gouttes. Stalingrad finit de se dérouler, au feu rouge, une voiture baisse sa vitre, c'est ma jolie voisine qui me propose de me rapprocher.

On finit au pub, par chance elle préfère les filles, ça simplifie les échanges. Grâce au patron, on a droit à un historique complet de AC/DC depuis la mort de Bon Scott jusqu'à nos jours, c'est exactement ce qui manquait à la soirée. A côté de la voiture de la belle, la soirée se termine par un échange de mails. Je crois que je me suis fait une nouvelle amie.

dimanche 6 avril 2008

Le marché de Limoges

Ce matin, au réveil, j'ai tenté une expérience de fou, du jamais-vu, du travail d'équilibriste : rester au lit une fois éveillé. Je voulais marquer le coup, je commence mes vacances.

J'ai tenu dix minutes. Après avoir fait joujou avec mon téléphone, lu un chapitre d'un polar en anglais et tenté de m'imaginer la douceur des Alpes au soleil, il a fallu me rendre à l'évidence, la ville et le monde m'attendait.

Enfilé les vêtements de la veille, je me jette dans le frais de la rue, braque la boulangerie pour engloutir mes pains au lait sur le chemin du marché. J'emprunte la rue du haut, ne croise que quelques merles, j'en profite pour repérer les quelques baraques qui ont un peu de cachet.

Avant le marché, je vais saluer mon vendeur de journaux, achète Le Parisien pour savoir quoi penser des nouvelles de la veille, et m'engouffre dans mon bistro du dimanche : Yasmina et son frère s'agitent efficacement pour contenter les vieux yougos, les forts turcs ou les petits beurs, cafés-crème, calvas, demis, ça lit le journal, ça papote, le nez sur la télé et les pieds dans les sachets de sucre éventrés.

Quinze minutes plus tard, au marché, c'est du sport, c'est tactique, c'est technique : poussettes, chinois pressé, vieille qui a coincé son cabas, ce n'est plus tout à fait les mêmes codes que dans la vie de tout les jours, au marché, la politesse se réinvente selon chaque cas. Les radis ronds me font de l'oeil. Mince, la vendeuse m'a refilé une pièce écrite en arabe, je fais quoi ? Je me suis fait gratter deux euros, mais elle est jolie, cette pièce. Finalement, je retourne la changer, sinon la jolie pièce va mourir dans le tiroir des jolis machins que je ne regarde jamais. Ah ! Le sachet d'endives est à un euro cinquante. Michel, le vendeur de yaourts-périmés-le-lendemain : "je pensais pas te voir ce matin", qu'il me lance. "bah, pourquoi ?" - "Bah, c'est le marathon de Paris !" Il m'a eu, l'étal se marre.

A retour, je rentre par la Nationale 3, bruyante, vivante, quatre ou six échoppes turques, trois ou cinq coiffeurs algériens, une poignée de traiteurs asiatiques. Et puis la queue devant le taxiphone qui va ouvrir dans un instant, des visages pleins de soleil qui attendent après une voix aimée.

Mais tout cela n'était peut-être qu'un rêve, car je vous ai menti : je me suis rendormi.

lundi 31 mars 2008

De fire Temperamenter

Semaine dernière : un orchestre parisien m'appelle pour que je complète leur effectif le temps d'un concert. Joie, bonheur, et tout ce genre de chose, j'adore l'orchestre. D'ailleurs, au moment où je vous parle, j'écoute une symphonie de Carl Nielsen, compositeur danois qui n'a qu'un seul défaut : il n'est pas très connu, le con.

Les répétitions d'orchestre, c'est le bonheur de jouer du répertoire, mais c'est également l'occasion de revoir les copains, ceux que l'on ne voit qu'aux répétitions d'orchestre : petit déjeuner au bistrot du coin de la rue avant la générale, restaurant avant le concert et quelques verres après, on a vite fait de griller le cachet à coup d'onglets, de pintes ou de croissants au beurre, mais on ne va quand même pas jouer le ventre vide, nom de dieu d'nom de dieu...

Veille du concert, je rappelle mon pote pour la neuvième fois de la semaine, et ça sera noeud papillon. Des fois, c'est cravate, mais là c'est noeud pap'. Et là, m'ames-messieurs, s'engage le challenge le plus ahurissant du mois : repasser une chemise blanche. Parce que s'enquiller une symphonie ou un concerto, c'est de la gnognotte à côté de ce qui m'attend : faire passer un bout de coton de la froissitude à la lissitude. Si je puis dire.

Déjà, il faut trouver le fer à repasser. Ensuite, se rappeler sur quel cran il faut mettre la molette pour que ça ne sente le roussi -la planche, ça va, je sais où elle est, je me la prend sur le coin du nez chaque fois que j'ouvre la penderie. Une demi-heure et une dernière écoute de Ravel plus tard, la chose mollassonne qui pendouille sur le cintre devrait faire illusion.

Le concert se passe bien. Dans les morceaux où je ne joue pas, j'écoute des coulisses, papotage avec les régisseurs, marche lente derrière la scène, je scrute les écrans vidéo, pénombre et couleurs des gélatines, on parle à mi-voix entre musiciens, de Ravel ou de Federer, du Tibet ou de téléphone portable, je fais essayer ma flûte à un pompier intrigué mais ravi : il sort un son, heureusement pendant un moment où l'orchestre joue plein pot.

Tonnerre d'applaudissements dans la salle, ça va être à nous. Les supplémentaires dont je suis font deux ou trois sons pour réveiller l'instrument, prennent l'air assuré et entrent à leur tour sur scène, on vise nos places, clins d'oeil aux copains, sourire du chef, son visage se fait grave, le bras se fige, le brouhaha retombe, le coeur bat, et zou, c'est parti...

mardi 25 mars 2008

Lost in La Mancha

Les toits de Dijon commencent à faner, je rassemble quelques affaires. Cinq étages plus bas, le bus est bloqué par une sorte de grue. Klaxon rauque, plein feu, rien n'y fait. Ma langue est un peu pâteuse.

Appelé un pote. Ne dormira pas chez lui. Appelé une amie. Dîne avec sa soeur. Je me retrouve seul dans une brasserie de chaises en mauvais bois et d'abats-jour blafards, de salières grises et de serviettes molles.

Le fond de la salle bafouille money for nothin' and chicks for free, je m'approche des toilettes, celles où se laver les mains est parfois moins confortable que de manger les mains sales. Penser à appeler Daniel pour déplacer le conseil.

Pour être moins seul, je prends le "Mont d'Or pour deux". Sa majesté la patate, une tonne de salade. Finalement, un couple entre, les voix résonnent dans l'échoppe vide.

- ... comment elle s'appelle, ta nouvelle meuf ?
- euh...

J'ai pas tellement envie de retourner sur internet, alors je mange. Un peu mal au bide, mais je mange, et puis c'est quand même bon, alors je mange. Le téléphone sonne : tant pis, je rappellerai. Je mange. Faire un mail au Conseil Général ; mon téléphone vibre, nouveau message.

- ... la famille, c'est ma hantise ; le pire, c'est la mère de ma belle-mère...

Dehors, quelques ombres flottent à travers la bruine neigeuse, capuches carrées et gants noués, têtes en avant. Le patron me rapporte gentiment une assiette, rab' de pommes de terre, retourne apprendre l'Equipe de la veille, flanqué sous des bouteilles de Ricard qui ont le cul en l'air. Appeler le prof de direction.

-... trop pas, on lui voit le string...

Pas de café, je reprends un coup de rouge, une bossa pleurniche derrière le bar, mais mon pot de pinot est fini. Je règle, je pars ; avec un peu de chance, je trouverai un vélo de libre.

-... faut pas trop que je boive, j'ai partiel demain...

Allez, bonsoir, messieurs-dame, amusez-vous bien. Vivement la fin de semaine : quitte à s'emmerder, autant s'emmerder chez soi.

samedi 22 mars 2008

Das Kapital

Ma petite ville que j'aime... mon village avec mes bars et mes toiles, mes plats du jour et mes vélos...

Quand je descends du T.G.V., j'ai toujours le même plaisir, celui de me retrouver chez moi. Vendredi soir, il y a un peu de monde dans la Gare de Lyon, mais je slalome patiemment entre les vilaines valises à roulettes qui tentent de me faire des croches-pieds pour vite plonger dans les souterrains ; de toute façon, je ne suis pas si pressé : je suis déjà chez moi.

Ca me fait parfois bizarre de me sentir aussi bien dans cette ville : je n'y ai pourtant pas grandi. Enfin si, quand même, j'y suis arrivé jeune : à 17 ans, le bac en poche, je suis arrivé dans cette mégapole que je n'approchais qu'une ou deux fois par an, à Noël ou pour Pâques... je me trompais alors de direction dans le métro, m'en rendant compte trois chapitres trop tard, je demandais mon chemin, j'arrivais en retard, il y avait même des gens de toutes les couleurs un peu partout ! Maintenant, je marche des heures en rêvassant, je frime dans toutes les langues pour renseigner trois japonaises et je saute du bus pour attraper un vélib', je vole d'un couloir de R.E.R. à un quai de métro...

La ville de la liberté, voilà ce que Paris a été pour moi, instantanément : je venais d'une petite ville à 16O kilomètres de là, révision du bac, pas sortir trop tard, tout le monde connaît plus ou moins tout le monde... A Paris, j'étais free as a bird, je ratais le dernier train pour dormir chez les copains, la tête sur une serviette éponge et le blouson comme couverture ; et si on veut se balader en bermuda à rayure ou se teindre les cheveux en bleu, personne ne vous regardera de travers.

Parfois, je m'y perds un peu : je suis un bourguignon né en région parisienne, et maintenant, je me sens parisien bien que travaillant à Dijon. Mais attention : un parisien fier d'être bourguignon ! De toute façon, un vrai parisien, c'est très rare. J'ai un ami qui en est un, si, si, j'en connais un. Mais c'est tellement rare, un vrai parisien, que le musée d'Orsay a voulu le louer, si, si...

jeudi 13 mars 2008

Casino

Crash, splash, plaf, et tout ce genre de chose. J'ai vautré hier soir une bouteille d'huile d'olive à la caisse du supermarché. Et croyez-moi : faites tomber du liquide vaisselle, du vin, un paquet de petits pois, ce que vous voulez, mais pas de l'huile d'olive.

Ca a fait une sorte de bruit mat, un peu étouffé, un bruit de verre lourd qui tente le coup face à un épais carrelage d'un bâtiment public, comme un son dont on couperait la résonance, forcément, les autres achats ont empêché l'huile de jouer au geyser islandais.

Il a donc fallu extirper d'un sac poisseux et partiellement déchiqueté du pain de mie ou des éponges, perforés ou en état, mais dégoulinant de toute façon d'un épais fluide jaunâtre et visqueux, incrustés de bouts de verre collants, tout cela dans une flaque grandissant à vue d'oeil ; et à l'heure où je vous parle, mes mains sentent encore l'huile d'olive.

Mode d'emploi pour se faire haïr de deux caissières, un employé de rayon et un gérant de supérette à quatre minutes de la fermeture, lorsque la machine à nettoyer et à sécher est passée entre tous les rayons, quand il n'y a plus qu'une caisse d'ouverte avec une file de clients qui se perd entre les boites de conserve et la purée en flocons : après avoir payé, soulevez rapidement vos achats en posant l'hypothèse que vous tenez au moins une poignée sur deux pour chacun des trois sacs que vous avez dans chaque main, et souhaitez chaleureusement une bonne soirée à tout ce petit monde. Si entre temps, le bruit sus-décrit s'est fait entendre, sachez que vous avez mal fait votre compte, et que votre dernière phrase va susciter une perplexité et un questionnement profond chez votre auditoire fatigué. Et là, je préfère vous prévenir, vous serez un peu seul au monde.

vendredi 7 mars 2008

La Cathédrale de Rouen

Retour à Dijon. Ici, l'ancienne Chambre de commerce, qui avait été installée dans l'ancienne église Saint Etienne, à côté de l'ancien théâtre, pas loin de la bibliothèque municipale qui est dans l'ancienne chapelle du collège des Godrans, et tout près d'un autre théâtre, dans l'ancienne église Saint Jean. Et voilà.

C'est ça, c'est l'aménagement durable, on recycle. Cela dit, il y a tellement d'églises à Dijon, et de plus en plus de brebis égarées, c'est plus ce que c'était, qu'il faut bien en faire quelque chose, de ces églises... Une chambre de commerce par ci, une bibliothèque par là, et un théâtre pour finir. Hop, ça y est, on sait à quoi ça sert, une église. C'est aussi ce qu'on appelle une église réformée.

Bon, cela dit, il y a quand même de quoi s'aimer les uns les autres (et je ne parle pas que de l'église évangélique des missionnaires). Les forces en présence ? Déjà, la petite famille (le prieuré Sainte Famille) : la chapelle Saint Joseph, bien charpentée, la cathédrale Notre-Dame, élégante, l'église de Jésus Christ, plutôt mimi, et également les petites soeurs (des pauvres, en l'occurrence) ;

Ensuite, quelques potes : Baptiste (l'église évangélique), Saint Jean le Théologien (l'église orthodoxe), Saint Vincent de Paul (la paroisse), Saint Bernard (une autre paroisse), Saint Bénigne (une autre église) ; et une copine, Marcelle Pardé (l'aumonerie) ;

Quelques cousins : El Khir (comme le Chanoine, dis-donc, mais là c'est une mosquée) et la synagogue (qui est rue de la Synagogue, bizarrement.)

Et puis, pour finir, quelques fans : les Bénédictines Adoratrices, quelques gugusses qui traînaient dans le coin mais qui jurent qu'ils n'ont rien vu (les témoins, mais jéhovah pas le rapport), ceux qui se plaignent tout le temps, les protestants (l'église évangélique).

Je n'ai pas fait le ratio nombre d'habitants/kilomètres carré/nombre de lieu de culte, mais il y en a vraiment pour tout les goûts : se recueillir, aller au théâtre, ou à la bibli. Bienvenue à Dijon !

mardi 4 mars 2008

Ocean greyness

Trois jours au bord de la mer, trois jours avec trois amies.

Et trois heures de T.G.V. pour un autre coin de France, en première classe avec des gens très très bien qui distillent les sourires avec parcimonie. Un sourire ne s'offre pas, il se négocie. Heureusement, d'autres personnes qui, comme moi, ont payé leur place en première moins chère qu'en seconde, partage joyeux de biscuits, de L'équipe, de coups de pied, les pintades à Figaro-Madame sont à la limite du malaise. 

Mais trois jours au bord de la mer, ça se mérite, et l'enjeu en valait la chandelle : milles de  belote, déchiffrage de musique de film, ciné et D.V.D. (d'ailleurs, saviez-vous que in Hartford, Hereford and Hampshire, hurricanes hardly ever happen ?), balades sur la plage, prises de judo incluses, fesses dans le sable et sable entre les fesses, légumes de prés salés et barbecue, lunettes de soleil et K-way... Au retour, je suis vraiment chez moi : seconde classe, blagues avec le contrôleur, un monde normal peuplé de gens normaux, quoi...

Trois jours au bord de la mer. Ou comment être content de ne pas être chez soi alors qu'on y est jamais. In Hartford, Hereford and Hampshire...

mercredi 27 février 2008

Le promeneur du Champs de Mars

La Grande Bibliothèque. La bibliothèque François Mitterrand.

Cela dit, ce n'est pas le genre d'endroit où vous allez pour changer vos disques ou éplucher une bédé, plutôt celui ou vous payez cher pour consulter un ouvrage qui tombe en poussière, quarante-cinq minutes après avoir rempli la petite fiche. Mais bon, magnifique bâtiments, très imposants, énorme esplanade exposée à tout vent, les quatre gigantesques livres debout se font face, embrassant un petit jardin, un jardinet, avec des plantes qu'on ne trouve pas à Paris -normalement. Moi, j'aime bien cet endroit, c'est un endroit qui est fait pour être vivant, même si ça ne marche pas bien : on y passe, surtout, glissant sur du bois glissant.

En fait, je sortais du ciné, un vendeur à la sauvette, des livres à trois euros, rien de bien passionnant, ah si, un bouquin sur Berlioz... Vous savez, ce genre de livre que l'on a pas spécialement envie de lire, mais que l'on lira peut-être un jour, ou peut-être pas, on verra. De toute façon, ça valait le coût : neuf, il vaut au moins une vingtaine d'euros. Bon, j'achète, j'achète pas ? Le choix ne s'impose pas de lui-même, il va donc falloir que j'agisse. Il pleut. Bon, je le prend s'il a des sacs plastique, je veux bien acheter un livre que je ne lirai pas, mais au moins, ne pas le flétrir.

Le vendeur - c'est pas pratique, les sacs sont dans ma camionnette...
Moi, de bonne humeur - si vous voulez, je vous garde la caisse !
Lui - OK !

Et me voilà vendeur de livre à la sauvette, trois euros, trois euros, ne manquez pas ça, allez-y ma p'tite dame, y'en aura pas pour tout le monde. Le vendeur revient, il a mon sac plastique, je refais le tour de la table, je lui donne mes trois sous, on se serre la pince. La journée est déjà une bonne journée.

mercredi 20 février 2008

Sonatine bureaucratique

Mes amis musiciens auront peut-être reconnu le mythique C.N.F.P.T. "petite couronne", celui où l'on fait sa F.A.T. afin de pouvoir être titularisé au grade d'A.S.E.A. ; il faut donc tout savoir sur la B.I., les D.G.S. et la D.R.H. ; tout le monde est O.K. ?

Un an de stage pour essayer de faire comprendre aux formateurs que l'on est forcément musicien avant d'être professeur, alors qu'ils ont pour mission principale de nous inculquer le fait que l'on est fonctionnaire avant d'être quoique ce soit d'autre. En fait, soit le formateur ne comprend rien à la vie de du musicien ou du danseur -comment ça, vous travaillez parfois le dimanche ? Comment ça, un plein temps, c'est 16 heures par semaine ? Comment ça, vous travaillez jusqu'à 23 heures ?-, soit il est tout simplement nul.

Car il y a des fois où l'on se dit que le formateur a un métier facile : il lui suffit de dévaster quelques hectares d'Amazonie à coup de cinq ou six kilos de photocopies par stagiaire, pour ensuite passer la semaine à les lire à voix haute, parfois les faire lire par l'un ou l'une d'entre nous. La vie du formateur, c'est parfois gagner 1500 euros par semaine en faisant lire des photocopies.

Mais d'autres sont tout simplement géniaux : maître du logiciel de présentation, génial jongleur avec des moments magistraux passionnants et des moments de travail en petit groupe très stimulants. En fait, un exemple de pédagogie pour les jeunes enseignants que nous étions. Et pour le formateur que je suis devenu.

La liberté guidant le peuple

C'est qui ? C'est la République. Qui, comme son nom l'indique, est place de la Nation. A une heure où l'on peut encore traverser cette place en vélo sans risquer sa vie, je suis aller flâner sur le terre-plain central, celui qui n'est occupé que par des clochards environ trois cents jours par an : toute la place s'agite comme une ruche, mais pas le centre, qui reste quasiment désert.

Et les jours restant ? Il est habité par les manifestants, syndicats, profs, taxis, infirmières... En 1997, je rentre  du travail une fin d'après-midi de Gay-Pride. Je sors de terre, je me retrouve au beau milieu de la plus joyeuse fête qui soit : des corps de toutes les formes et de toutes les couleurs bougeant dans tous les sens, des musiques de toutes les cultures, des chars gigantesques, des inconnus qui viennent voir, des connus qui viennent pour être vus, d'autres vont se faire voir. Moi l'hétérosexuel penaud, je suis allé danser avec de fiers gays.

Ce matin, manifestement, c'est beaucoup plus calme ; quelques pigeons viennent parfois chier sur la tête de la République. Elle s'adresse à peu de monde encore, seuls quelques piliers de bars bien connus du quartier sont accoudés à l'un des douze ou quinze zincs du pourtour. Ah ! j'ai oublié les anonymes qui, comme moi,  prennent discrètement un café... il sent un peu le cramé, mais ça passera.

mardi 19 février 2008

The Wall

J'habite en face de ça. Que dire de ce pan de mur, pas une fenêtre, près de Paname, Petit Pantin, uniforme,  jaune, criblé d'aspérités ?

Un coin de rue, un écrin de vie accueillant des maliens tout verts qui arrachent les poubelles du jeudi et du mardi ; le soir, les motards viennent s'y garer en retrait, et tant pis pour les noires taches d'huile graissant le ciment fissuré ; tout le jour, des pigeons abrutis ; l'après-midi après l'école, des mômes jouent à lancer leur poing fermé sur leurs visages, filmant d'un téléphone les joues rougies et les yeux effrayés ; des chômeurs fument ; des ados s'essayent au football, s'essuyant la sueur du front de leurs mains cinglées par le froid, feignant d'ignorer une voiture qui trépigne... Parfois, le bus arrive qui calme tout le monde, ça en impose, un bus qui dévale la butte, il nous emmerde, toutes les huit minutes, il faut se pousser... ou bien c'est une camionnette qui fait le plein de petits fromages dans un entrepôt aux tuiles de plexiglas moussu, ou bien c'est un poids lourd égaré, long comme l'immeuble entier, qui empeste la rue à laisser tourner le moteur...

Finalement, on peut être face à un mur et s'y sentir bien.

jeudi 14 février 2008

Le livre de la jungle

La B.U. de l'uB.

C'est l'endroit où l'on peut faire son marché, livres par millions, revues à foison, dicos à profusion, vous m'en mettrez une livre, y'a un peu plus, je laisse ?

Ici, vous êtes dans LA bibliothèque universitaire, la grande, la belle, la verte, oh ! la belle verte, celle qui trône au milieu du blanc campus, mais le nombre d'autres petites bibliothèques est vraiment sidérant : chaque section a sa B.S. -bibliothèque spécialisée-, ce qui fait que dans chaque bâtiment, on peut en compter jusqu'à trois, quatre, cinq... Donc si vous souhaitez profiter des vacances d'hiver pour bouquiner Pasteur and lactic acid yeast : a partial semiotic analysis de Bruno Latour, eh bien sachez que c'est tout à fait possible : bizarrement,  il est en rayon.

Très moderne, très silencieuse, la B.U. comporte des bornes wifi permettant à chacun de se connecter au monde depuis son petit ordinateur, d'autres jouent au cartes en silence, des ombres chinoises farfouillent la tête en bas dans des rayons récalcitrants, d'autres encore téléphonent planqués à quatre pattes sous la table pour ne pas se faire remonter les bretelles par la police du livre.

Faite de verre, de plastique et de métal, la lumière y est douce, elle incite au calme, à la concentration ; l'espace est généreux, le regard n'est jamais arrêté dans ce duplex à tiroirs transparents, tout cela donne envie de rester travailler : zut, c'est l'heure d'aller en cours, je serai bien resté encore une petite demi-heure.

mercredi 13 février 2008

The bridge on the river Kwai

Qui a dit que c'était dangereux de faire du vélo à Paris ??? Certes, ici, on a des voitures à gauche, des voitures à droite, des bateaux en dessous et le métro au dessus... Mais admettez qu' il faudrait un calamiteux concours de circonstances pour se blesser.

Faire du vélo à Paris est devenu un de mes plus vifs plaisirs. Alors oui, c'est quand même dangereux, le cycliste n'est qu'un lent matou lâché au milieu d'une meute de chiens d'attaque... Et ce n'est pas la vilaine chasuble jaune fluorescent des chantiers et le drôle de casque à trous sur la tête qui nous sécurisent beaucoup... d'aucuns prétendent même que ces accessoires rendraient les cyclistes tellement confiants qu'ils en oublieraient massivement d'être prudents. Je n'ai pas d'avis sur la question.

Ce qui est certain, c'est que pédaler dans la vibrante Paris me donne de l'assurance : un bras de fer vélo versus auto n'est jamais gagné d'avance, il faut apprendre à s'imposer sans se mettre en danger, attraper le regard de l'autre en lui faisant croire qu'on vise ailleurs, et de ce fait l'informer plutôt que demander : "je vous préviens que je tourne". Et cela ne doit souffrir d'aucune discussion. Sinon, c'est très simple, on perd un genou.

Mais j'aime beaucoup prendre le temps de pédaler mollement, de freiner au feu orange, et là c'est le visage enragé du conducteur me suivant immédiatement qui passe au rouge. J'apprécie de voir le monde frétiller autour de moi alors que je suis au ralenti. A d'autres moments, c'est moi qui joue au bolide, rivalisant d'adresse avec les scooters ou les motos... à mon palmarès, deux Porsche et trois Mercedes grattées au feu vert. Peut-être qu'ils dormaient, téléphonaient ou se curaient le nez en se hissant à la hauteur du rétroviseur intérieur, mais ce n'est pas mon problème : je les ai bel et bien grattées.

The unanswered question

Parfois, un choix n'est pas simple. Et parfois, il est simple. Donc, dans ce cas précis, ce n'est plus vraiment un choix, puisqu'il s'impose de lui même, et dire "je n'ai pas hésité" reviens à dire : "je n'avais pas le choix". Il y a une sorte de coercition, juridique, morale, religieuse ou que sais-je encore, qui fait que le choix s'impose de lui même.

Pour tout vous dire, là, j'ai eu du mal, j'avais trop le choix. Non pas trop le choix entre douze ou quinze paires de chaussures, ce qui pourrait s'appeler trop le choix, mais trop le choix entre les deux paires, ça veut dire qu'aucune des deux ne s'impose d'elle-même, donc trop le choix, ça veut tout simplement dire que j'avais le choix. Alors, évidemment, vous vous serez rapidement fait une idée : celle de droite est mieux, celle de gauche est mieux... C'est difficile à dire, et non seulement les goûts et les couleurs ne se discutent pas, mais je vous signale en plus que vous ne savez pas pourquoi ce choix pouvait être important, ni même s'il l'était. L'importance du contexte.

Laquelle j'ai choisi ? Je ne vous le dirai pas. Car ce n'est pas forcément l'issue du choix qui est le plus important ; c'est parfois le moment de l'appel, du vide, du grand saut, qui est le plus émouvant, pas le fait de savoir si ma grolle a eu un bout rond ou un bout pointu, si elle était vernie ou mate.

Grand canal

Le voici, le canal de Pantin.

Tout un symbole, ce canal, à la fois irriguant et diviseur, citadin et silencieux, polluant et campagnard, symbole que les autres villes de la Seine Saint Denis n'ont pas, symbole de la circulation et de la verdure, d'ailleurs le journal municipal s'intitule "Canal".

Un canal, ça n'apparaît pas pour le bien-être des mamans et des poussettes, des rollers du dimanche ou des flaneurs du midi, mangeur de salade préparée à la hâte le matin avant de partir au travail, ni pour les bourgeois qui préparent le permis bateau. Un canal, ça compte, ça façonne. En plus de la zébrure/veine infligée/offerte à la ville, ça conditionne l'installation d'un grand nombre d'usines, d'ateliers ou entrepôts, pour recevoir les marchandises venu de l'Est ou du grand Est et les traiter avant leur consommation par les Parisiens. Pantin, c'est la ville des travailleurs, la ville rouge. Une transposition moderne de ce processus est observable dans les grands ateliers SCNF, au nord du canal : on y répare les tout nouveaux T.G.V. Est.

Un peu plus loin, le canal tente une virée à Paris, et les vibrants matchs de foot à la pelouse de la Villette sont entrecoupés de nombreuses mi-temps involontaires : le ballon est à l'eau, et il faut compter sur les vaguelettes causées par le passage d'un bateau pour le repousser mollement vers nous.

mardi 12 février 2008

Ciao Pantin

Pantin. Ma ville depuis un peu plus d'un an. Ville aussi bien faite de bicoques que de tours, la boucherie chevaline y côtoie le géant casino, des petites rues se perdent et la nationale 3 hurle nuit et jour. Des coins de forêt où l'on se crotte la semelle, et du béton qui sent encore la sueur de Martin Bouygues.

La piscine en brique rouge accueille le courageux, avec en prime un sourire si l'on a le temps de passer une poignées de minutes avec la caissière, elle s'ennuie un peu, on la comprend, elle aime bien son métier, on la comprend, son fils lui cause des soucis, on la comprend. Un peu plus loin, la mairie de verre jouxte la mairie de pierres, l'une abritant les ouvrières, l'autre la reine. Le tout respire grâce au canal, qui est longée par ces grands travaux, lycées professionnels, usines et ateliers, c'est finalement une ville qui change tout le temps : tiens, y'avait pas ça, la semaine dernière... Tiens, c'est joli, ça.. Tiens, y'avait un truc, là, avant...

vendredi 8 février 2008

Pacific 231

Vendredi, jour du retour. En train. Je travaille à Dijon, mais j'habite à Pantin, en région parisienne.

Quand j'ai accepté ce travail et repensé ma vie entre ces deux villes, j'ai eu un peu peur du grand écart... Certes, je travaille à une grosse heure et demi de mon domicile, rien de bien extraordinaire pour un parisien. Mais c'est la différence de vitesse entre les deux villes qui est sidérante : à Paris, tout est immédiat, alors qu'à Dijon, c'est plus calme. Ici, les motos ne prennent pas la voie de bus et ne slaloment pas entre les files : elles attendent, si, si... Finalement, une semaine loin de chez moi, c'est beaucoup plus reposant ! Une vie tranquille pendant cinq jours, et ma ville chérie pour un week-end de vélo, de ciné, de potes et de siestes.

Et le trajet comporte un moment de pur bonheur : entre l'Auxois et Dijon, on suit l'Ouche, on double Sombernon, et le paysage est tout simplement splendide : petite montagne, bocages, forêts... C'est l'association de la Très Grande Vitesse et du temps suspendu ; de plus, on l'assurance d'en profiter pleinement : les réseaux de téléphonie portable ne passent pas !

jeudi 7 février 2008

On the sunny side of the street

Le voilà, le campus. C'est assez gigantesque, et il y a de tout : des espaces verts, des bibliothèques, des oeuvres d'art (le fameux 1%...), des restaurants universitaires, des immeubles, une salle de spectacle, des centaines de mètres de couloirs, des milliers de salles de cours, des cafétérias, rendez-vous compte, quatre arrêts de bus rien qu'à l'intérieur... on se croirait à Yale ou dans je ne sais quel campus américain (cela dit, je n'ai jamais mis les pieds aux Etats-Unis non plus).

Présentement, vous êtes sur une des passerelles qui font passer d'un bloc à l'autre, comme à la Samaritaine ou chez  Tati, sauf que là on est à Dijon. L'hiver, vous vous en doutez, on évite de passer sur ces éléments exposés à tout vent, mais il y a une vue superbe d'à peu près tous les endroits, car le campus est en hauteur -les cyclistes en herbe l'ont intégré depuis le début.

Mon plaisir d'étudiant, entre autre, c'est de m'y perdre. Je me déplace au hasard, et je recolle les morceaux. Une fois, j'ai fait ça sans faire exprès, et forcément, je suis arrivé dix minutes en retard à mon séminaire. Mais c'est un très bon moment que de se perdre pour mieux découvrir. Afin d'être sûr de ne pas emprunter par sécurité les lieux déjà défrichées, et repousser pas à pas les murs de son ignorance... Vous me croirez si vous voudrez, mais presque six mois après ma rentrée, je découvre des endroits nouveaux chaque semaine...

mercredi 6 février 2008

Le Château des Carpathes

L'opéra. Ou plutôt le Grand Théâtre. Il s'agit en fait de l'ancien opéra, pratiquement tout se faisant désormais dans le très fameux auditorium (je vous le montrerai prochainement). Donc on appelle assez pompeusement GRRRAND Théâtre le petit théâtre et modestement "auditorium" le majestueux complexe que toute l'Europe envie à la ville de Dijon (oui, je sais, j'exagère un peu, mais quand même, il est très réussi). L'ensemble des deux lieux s'appelant le "Duo Dijon" ; moi, ça me fait un peu penser à "duodénum", mais bon.

J'ai vu Othello il y a quelques années dans ce bel édifice que vous voyez ci-contre, et c'était à mourir de rire : il y a avait des lions en cartons, dans un palais qui aurait dû être grandiose, mais qui devait, là, tenir sur douze mètre et quelques centimètres. A cette époque, l'orchestre n'était pas très fourni, on allait voir nos profs dans la fosse (sans lion) à l'entracte... En somme, c'était une petite ville de province qui tentait l'opéra. Quinze ans après, on paye cher sa place pour des productions souvent très réussies -dont on voit la publicité jusqu'à la rugissante Gare de Lyon-, écouter un orchestre fier de sa pâte sonore, et si l'on va toujours voir la fosse à la pause, c'est désormais à des collègues que l'on fait des grimaces. Une de mes étudiantes, dans un mail hier soir : "et nous vieillissons et ça gonfle bref !!!!/et on devient blette comme les poires!!!!"

mardi 5 février 2008

La gare de Perpignan

Mais qu'est-ce donc ? Encore une manifestation ? Eh bien, non ! Ce n'est que la gare de Dijon un vendredi soir, moyenne d'âge 20 ans, des étudiants, des étudiants, encore des étudiants,  rentrant chez les parents, avec leur linge sale et quelques kilos de cours à réviser. Parfois, ces feuillets ne servent pas beaucoup plus qu'à se donner bonne conscience, le week-end pouvant vite se diluer dans la bière, pas grave, on rapportera sans rougir tout ce qui n'a pas été lu, et puis on recommencera le week-end d'après. Le week-end, c'est fait pour se reposer, quand même...

Presque 30'000 étudiants sont inscrits à l'uB, sigle dont l'université de Bourgogne est très très fière : on en trouve le logo partout, sur les bus, dans le B.P., le fameux Bien Public, le quotidien local que tout le monde critique mais que personne ne voudrait manquer.

Dijon est donc une ville jeune, avec ses coins jeunes, ses bars jeunes et ses restos jeunes... On y sort, on y danse, on y danse, on y boit, on y fume sur les trottoirs, on y fait du vélo et on y mange des kebabs. Mes étudiants n'ont pas le temps d'avancer leur mémoire, ils n'ont pas d'argent pour s'acheter l'essentiel, mais je sais que si je passe vers une heure du matin au Pub qui est dans la rue parallèle à la mienne, le célebrissime Brighton, je retrouve la quasi-totalité de la promo.

lundi 4 février 2008

Fiddle on the roof

La vue depuis mon bureau. Certains auront reconnu Dijon, avec à droite l'église Saint Michel. Bon, là je suis sorti par la fenêtre, je suis donc debout sur le toit (donc ma collègue m'a dit comme à chaque fois : "tu fais attention, hein ?"), surplombant tous les toits, en plus il y a une belle lumière, très blanche.

Dijon est une très belle ville, un peu comme Florence, mais en fait je ne sais pas, car je n'y suis jamais allé (à Florence). Mais c'est une très belle ville, un peu huppée, mais c'est très agréable de lécher quelques vitrines en sortant du travail. Je ne vous ai pas dit : je travaille à l'université, j'ai donc une vue imprenable depuis le haut de la vieille université (le gros des étudiants sont sur le campus). Dans mon bureau, j'entends parfois quelques avertisseurs sonores de la compagnie locale de transport urbain, ou la quarantaine d'étudiants portant banderoles lors des manifestations contre la loi Pécresse, ceci provoquant parfois cela.

Mais cette vue a un prix à payer : cinq étages à monter. On peut à ce propos considérer que l'architecte devait avoir un fond de sadisme, puisqu'il a cru bon de séparer chaque palier par un entresol, dans une cage d'escalier aveugle ; le résultat n'est autre que non pas cinq étages à monter, mais dix demi-étages à gravir.

Mais progressivement, je m'y fais. Je m'aperçois que je peux maintenant téléphoner en montant, voire manger en montant... La semaine dernière, j'ai tenté de manger en téléphonant en montant, et c'était limite. Je réessaierai le mois prochain.

Hyperprism

Le petit monde merveilleux d'artocarpus ?

Le monde n'est ni beau, ni moche, il est là, et tant qu'à faire, autant le regarder. Et en plus, il est beau. Donc je vous propose de le regarder avec moi, grâce à moi, je vous prête mes yeux, en fait. Un jour, d'ailleurs, je vous en montrerai un ou deux, autant connaître le matériel employé.

Quel est le bien-fondé de cette entreprise ? Pas grand'chose. En fait, vous n'êtes même pas obligé de terminer cette phrase, c'est ça qui est bien. Ou bien terminez-là, enchaînez avec quelques autres, et n'y revenez plus ! Ou alors revenez-y, mais... Bon, vous êtes les bienvenus, de toutes les façons.

Je vais donc parler de moi. Un peu. Juste ce qui est nécessaire. Partager avec vous ma part d'universel, celle qui fait que je suis à la fois l'autre et le même. Pour certains, un peu plus l'autre, pour d'autres, vraiment le même. On verra. Je serai curieux, à ce propos, de savoir si ceux qui reviendront sont plus les autres ou plus les mêmes. On verra.