Semaine dernière : un orchestre parisien m'appelle pour que je complète leur effectif le temps d'un concert. Joie, bonheur, et tout ce genre de chose, j'adore l'orchestre. D'ailleurs, au moment où je vous parle, j'écoute une symphonie de Carl Nielsen, compositeur danois qui n'a qu'un seul défaut : il n'est pas très connu, le con.
Les répétitions d'orchestre, c'est le bonheur de jouer du répertoire, mais c'est également l'occasion de revoir les copains, ceux que l'on ne voit qu'aux répétitions d'orchestre : petit déjeuner au bistrot du coin de la rue avant la générale, restaurant avant le concert et quelques verres après, on a vite fait de griller le cachet à coup d'onglets, de pintes ou de croissants au beurre, mais on ne va quand même pas jouer le ventre vide, nom de dieu d'nom de dieu...
Veille du concert, je rappelle mon pote pour la neuvième fois de la semaine, et ça sera noeud papillon. Des fois, c'est cravate, mais là c'est noeud pap'. Et là, m'ames-messieurs, s'engage le challenge le plus ahurissant du mois : repasser une chemise blanche. Parce que s'enquiller une symphonie ou un concerto, c'est de la gnognotte à côté de ce qui m'attend : faire passer un bout de coton de la froissitude à la lissitude. Si je puis dire.
Déjà, il faut trouver le fer à repasser. Ensuite, se rappeler sur quel cran il faut mettre la molette pour que ça ne sente le roussi -la planche, ça va, je sais où elle est, je me la prend sur le coin du nez chaque fois que j'ouvre la penderie. Une demi-heure et une dernière écoute de Ravel plus tard, la chose mollassonne qui pendouille sur le cintre devrait faire illusion.
Le concert se passe bien. Dans les morceaux où je ne joue pas, j'écoute des coulisses, papotage avec les régisseurs, marche lente derrière la scène, je scrute les écrans vidéo, pénombre et couleurs des gélatines, on parle à mi-voix entre musiciens, de Ravel ou de Federer, du Tibet ou de téléphone portable, je fais essayer ma flûte à un pompier intrigué mais ravi : il sort un son, heureusement pendant un moment où l'orchestre joue plein pot.
Tonnerre d'applaudissements dans la salle, ça va être à nous. Les supplémentaires dont je suis font deux ou trois sons pour réveiller l'instrument, prennent l'air assuré et entrent à leur tour sur scène, on vise nos places, clins d'oeil aux copains, sourire du chef, son visage se fait grave, le bras se fige, le brouhaha retombe, le coeur bat, et zou, c'est parti...