"Une place gratuite, ça intéresse quelqu'un ?"
Je suis trop lent à réagir, un gars la prend pour sa copine qui va arriver. Il faut dire que ça fait plus d'une heure qu'on attend dans la froidure du crépuscule pour rentrer dans la salle scène musiques actuelles de la ville.
Je me suis dépêché pour rien, quitté le travail pas trop tard, rentré chez moi engloutir deux endives sans sauce, écouté les infos d'une oreille distraite, sauté sur un Vélib', marché vingt minutes, tout ça pour quoi ? Pour poireauter dans le froid sous l'oeil soupçonneux d'un gorille de type cubique, estampillé "La Vapeur". L'invitation me revient : la copine du gars avait acheté la sienne sur internet...
A l'intérieur, il fait chaud, forcément, on est serré, forcément, et la musique nous remue, basse ronflante, batterie lourde, la poitrine, la gorge, mon bassin vibrent désagréablement et je suis parfois au bord de la nausée. Au risque d'avoir l'air complètement stupide, je me bouche parfois les oreilles, mais je préfère rendre deux endives que l'audition.
Cela dit, pour mon premier concert "pop" à Dijon, je frappe un grand coup : arrivé deux heures trop tôt, je me retrouve au premier rang avec les fans d'une chanteuse dont je ne connaissais même pas le nom deux heures auparavant ; tout le monde chante à tue-tête, je fais "mmm...","hou hou", ou bien encore "han han han..." quand elle me regarde, histoire de pas avoir l'air trop bête.
A côté de moi, une jolie jeune femme au regard troublant, à qui la place gratuite est finalement revenue. On gigote plus que l'on danse, la chanteuse est d'une chaleur qui nous fait oublier l'attente, l'ankylose des genoux, elle danse mieux que nous, mais, bon, elle a de la place, elle, à condition de ne pas se prendre les pieds dans les câbles qui jonchent la scène. Les jeux de lumières, de toutes les formes et de toutes les couleurs, swinguent sur les murs, le plafond, la foule, fumigènes inodores, humour, dialogue, spectacle total, Beethoven et Brahms devraient en prendre de la graine.
Après un bis généreux de vingt minutes, la salle s'ébroue lentement. Je marche d'un bon pas pour conserver la chaleur de mon corps le plus longtemps possible, suivant les centaines de feux arrières qui passent les carrefours au compte-gouttes. Stalingrad finit de se dérouler, au feu rouge, une voiture baisse sa vitre, c'est ma jolie voisine qui me propose de me rapprocher.
On finit au pub, par chance elle préfère les filles, ça simplifie les échanges. Grâce au patron, on a droit à un historique complet de AC/DC depuis la mort de Bon Scott jusqu'à nos jours, c'est exactement ce qui manquait à la soirée. A côté de la voiture de la belle, la soirée se termine par un échange de mails. Je crois que je me suis fait une nouvelle amie.