jeudi 17 avril 2008

Le malade imaginaire

"Une place gratuite, ça intéresse quelqu'un ?"

Je suis trop lent à réagir, un gars la prend pour sa copine qui va arriver. Il faut dire que ça fait plus d'une heure qu'on attend dans la froidure du crépuscule pour rentrer dans la salle scène musiques actuelles de la ville.

Je me suis dépêché pour rien, quitté le travail pas trop tard, rentré chez moi engloutir deux endives sans sauce, écouté les infos d'une oreille distraite, sauté sur un Vélib', marché vingt minutes, tout ça pour quoi ? Pour poireauter dans le froid sous l'oeil soupçonneux d'un gorille de type cubique, estampillé "La Vapeur". L'invitation me revient : la copine du gars avait acheté la sienne sur internet...

A l'intérieur, il fait chaud, forcément, on est serré, forcément, et la musique nous remue, basse ronflante, batterie lourde, la poitrine, la gorge, mon bassin vibrent désagréablement et je suis parfois au bord de la nausée. Au risque d'avoir l'air complètement stupide, je me bouche parfois les oreilles, mais je préfère rendre deux endives que l'audition.

Cela dit, pour mon premier concert "pop" à Dijon, je frappe un grand coup : arrivé deux heures trop tôt, je me retrouve au premier rang avec les fans d'une chanteuse dont je ne connaissais même pas le nom deux heures auparavant ; tout le monde chante à tue-tête, je fais "mmm...","hou hou", ou bien encore "han han han..." quand elle me regarde, histoire de pas avoir l'air trop bête.

A côté de moi, une jolie jeune femme au regard troublant, à qui la place gratuite est finalement revenue. On gigote plus que l'on danse, la chanteuse est d'une chaleur qui nous fait oublier l'attente, l'ankylose des genoux, elle danse mieux que nous, mais, bon, elle a de la place, elle, à condition de ne pas se prendre les pieds dans les câbles qui jonchent la scène. Les jeux de lumières, de toutes les formes et de toutes les couleurs, swinguent sur les murs, le plafond, la foule, fumigènes inodores, humour, dialogue, spectacle total, Beethoven et Brahms devraient en prendre de la graine.

Après un bis généreux de vingt minutes, la salle s'ébroue lentement. Je marche d'un bon pas pour conserver la chaleur de mon corps le plus longtemps possible, suivant les centaines de feux arrières qui passent les carrefours au compte-gouttes. Stalingrad finit de se dérouler, au feu rouge, une voiture baisse sa vitre, c'est ma jolie voisine qui me propose de me rapprocher.

On finit au pub, par chance elle préfère les filles, ça simplifie les échanges. Grâce au patron, on a droit à un historique complet de AC/DC depuis la mort de Bon Scott jusqu'à nos jours, c'est exactement ce qui manquait à la soirée. A côté de la voiture de la belle, la soirée se termine par un échange de mails. Je crois que je me suis fait une nouvelle amie.

dimanche 6 avril 2008

Le marché de Limoges

Ce matin, au réveil, j'ai tenté une expérience de fou, du jamais-vu, du travail d'équilibriste : rester au lit une fois éveillé. Je voulais marquer le coup, je commence mes vacances.

J'ai tenu dix minutes. Après avoir fait joujou avec mon téléphone, lu un chapitre d'un polar en anglais et tenté de m'imaginer la douceur des Alpes au soleil, il a fallu me rendre à l'évidence, la ville et le monde m'attendait.

Enfilé les vêtements de la veille, je me jette dans le frais de la rue, braque la boulangerie pour engloutir mes pains au lait sur le chemin du marché. J'emprunte la rue du haut, ne croise que quelques merles, j'en profite pour repérer les quelques baraques qui ont un peu de cachet.

Avant le marché, je vais saluer mon vendeur de journaux, achète Le Parisien pour savoir quoi penser des nouvelles de la veille, et m'engouffre dans mon bistro du dimanche : Yasmina et son frère s'agitent efficacement pour contenter les vieux yougos, les forts turcs ou les petits beurs, cafés-crème, calvas, demis, ça lit le journal, ça papote, le nez sur la télé et les pieds dans les sachets de sucre éventrés.

Quinze minutes plus tard, au marché, c'est du sport, c'est tactique, c'est technique : poussettes, chinois pressé, vieille qui a coincé son cabas, ce n'est plus tout à fait les mêmes codes que dans la vie de tout les jours, au marché, la politesse se réinvente selon chaque cas. Les radis ronds me font de l'oeil. Mince, la vendeuse m'a refilé une pièce écrite en arabe, je fais quoi ? Je me suis fait gratter deux euros, mais elle est jolie, cette pièce. Finalement, je retourne la changer, sinon la jolie pièce va mourir dans le tiroir des jolis machins que je ne regarde jamais. Ah ! Le sachet d'endives est à un euro cinquante. Michel, le vendeur de yaourts-périmés-le-lendemain : "je pensais pas te voir ce matin", qu'il me lance. "bah, pourquoi ?" - "Bah, c'est le marathon de Paris !" Il m'a eu, l'étal se marre.

A retour, je rentre par la Nationale 3, bruyante, vivante, quatre ou six échoppes turques, trois ou cinq coiffeurs algériens, une poignée de traiteurs asiatiques. Et puis la queue devant le taxiphone qui va ouvrir dans un instant, des visages pleins de soleil qui attendent après une voix aimée.

Mais tout cela n'était peut-être qu'un rêve, car je vous ai menti : je me suis rendormi.